samedi 4 octobre 2014

un regard sociologique sur le protestantisme latin en Europe


Notre hôtel, symptomatique de la crise espagnole (c) CSG

Je suis depuis jeudi près de Malaga pour un colloque puis l’assemblée générale de la Conférence des Eglises protestantes des pays latins d’Europe (CEPPLE). Le colloque a eu lieu jeudi et vendredi autour de la question « Quel futur pour les Eglises protestantes des pays latins d’Europe ? » et nous invitait à partager nos perspectives d’avenir, en prenant en compte la dimension de plus en plus cosmopolite de nos Eglises, mais aussi les évolutions dans la demande spirituelle de nos contemporains et du rapport au religieux dans la société. Jean-Pierre Bastian a apporté son point de vue de sociologue et Elisabeth Parmentier, le sien de théologienne pratique (que je développerai demain dans un autre billet).

Jean-Pierre Bastian a évoqué deux grandes évolutions qui touchent le protestantisme latin : le développement fulgurant du pentecôtisme et la montée de l’individualisme.

Pentecôtisme
Il a souligné que le protestantisme en latinité était sociologiquement un micro-milieu. Pour lui, si la religiosité protestante est restée ultra-minoritaire, c’est qu’elle ne répondait pas à l’exigence esthétique et émotionnelle de la culture latine. Le pentecôtisme, au contraire, y répond en alliant hyper-archaïsme des pratiques magico-spirituelles et hyper-modernité médiatique. Il répond également à la demande contemporaine d’une religiosité pratique et performante, dans une logique de donnant-donnant (je fais cela pour m’attirer les grâces de la divinité) qui préfère le succès à la vérité. Selon Bastian, le pentecôtisme est la forme régressive du protestantisme, mais l’accent de plus en plus porté sur les charismes dans une frange du pentecôtisme (que le colloque de Strasbourg, voir les billets de juillet de ce blog, qualifiait de néo-pentecôtisme) l’amène se détacher progressivement du protestantisme pour devenir une nouvelle confession chrétienne.

Si le pentecôtisme est si présent chez les migrants, c’est que son message simplifié à l’extrême, sa pratique de la glossolalie qui est transculturelle et son détachement du politique, donc d’une implantation locale, le rendent transplantable dans n’importe quel pays. Le pentecôtisme détache le religieux de la culture pour mieux l’internationaliser.

Individualisme
Jean-Pierre Bastian, université de Strasbourg (c) CSG
Si le pentecôtisme rivalise avec le protestantisme historique, l’individualisme le transforme de l’intérieur. Sociologiquement, on est sorti en 50 ans de la religion instituée, ce qui ne veut pas dire que les gens n’ont plus d’attentes religieuses, mais celles-ci se sont déplacées.

Aujourd’hui, les croyances ne font plus système, la cohérence vient du « consommateur » et non plus du « producteur » d’offre de sens. Chacun choisit, dans un monde de symbole et de pratiques circulant, les éléments qui font autorité selon son expérience et ce qu’il recherche. Le critère de choix est le résultat produit (ce que l’on ressent, si ça nous « fait du bien »). Les gens font donc un usage pragmatique du religieux. 

JP Bastian parle de « désotériologisation » et prend l’exemple de la culpabilité : les questions autour du péché sont reformulées dans un vocabulaire faisant référence au monde, à la communauté. La spiritualité devient une « énergie communautaire qui recharge ». On assiste à un rapprochement entre le transcendant et l’immanent.

Les religieux deviennent de « petits entrepreneurs dans le domaine du salut », ils « donnent-à-croire » et s’adressent à des niches sociologiques, se spécialisent pour répondre à une sous-culture donnée. Cette évolution du croire suit la hausse du niveau de formation des gens : l’individu est aujourd’hui plus à même de choisir ses croyances, de les évaluer. Le lien à l’institution religieuse devient alors facultatif et chacun se construit son identité spirituelle. Mais le croire ayant tout de même besoin de confirmation, les personnes créent de petites communautés, plus au moins émotionnelles.

En conclusion, il propose plusieurs pistes pour les Eglises protestantes en Europe latine, autour de la production de sens, d’être une instance critique à la lumière de l’Evangile, de continuer la dynamique du XIXe siècle où les protestants étaient à l’avant-garde dans le social, de faire avec le pluralisme religieux, d’être des minorités actives et de faire de la personne un « individu porteur d’une identité », nourrit de mémoire et de théologie. Il nous a par ailleurs invités à dialoguer plus avec les pentecôtistes. Rappelant que la spécificité du protestantisme historique est dans l’éducation et la réflexivité critique, il a fini en invitant nos Eglises à redevenir une avant-garde intellectuelle, religieuse et morale.

La table des intervenants (c) CSG
C’est son point de vue de sociologue analysant la spécificité du protestantisme. J’ai pour ma part du mal à me dire qu’il faudrait avoir comme cœur de cible une démarche élitiste… Mais les idées de garder l’Evangile comme référence critique, d’être des minorités visibles et actives par l’Evangélisation et l’importance de la formation sociale et théologique des membres d’Eglises et e leur place dans la mission de l’Eglise sont en droite ligne de nos objectifs dans l’EPUdF.

Claire Sixt Gateuille

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